OUVRIR LE TEMPS

Texte rédigé pour l’exposition à l’Œil de Bœuf BEFORE BEHIND des artistes Rémi De Chiara et Laura Ben Haïba,
2016

Before Behind est le titre choisi par les artistes Laura Ben Haïba et Rémi De Chiara pour leur exposition à L’Œil de Bœuf. Il est la traduction de l’expression d’origine latine preposterous (praeposterus), évoquant le constat d’une loufoquerie, d’un amusement, d’une absurdité, d’une démesure, d’une potentielle folie.

La formule associe deux prépositions, l’une de temps, Before, et l’autre de lieu, Behind : Avant Derrière. Aucune spatialité et aucune temporalité n’est définie ici. Les deux prépositions se côtoient, se chevauchent, s’entrechoquent, isolées, sans contexte ni repère. Un effet d’effacement et de vide est produit par cette expression, qui amène à épouser une focale étroite, axée sur un point, comme ignorant tous tracés. L’objet, la situation ou la personne qualifiés par Before Behind existent alors en soi, dénudés, quasi dépourvus de corps et perspectives historiques. La forme lévite, privée de toute attraction.

Laura Ben Haïba et Rémi De Chiara semblent chercher une situation de désœuvrement spatiale et temporelle comme préliminaire scopique, obligeant le spectateur de Before Behind à reconsidérer sa position face à chaque œuvre présentée. Les emprunts aux conventions muséales, prélèvements en zones urbaines, jeux d’échelles, frottages, recouvrements acides, transferts, ambiguïté des formes minéralo-organiques, références à la géologie, à la tectonique, aux mondes sous-terrains et extra-terriens s’entrelacent autour de la question du temps du regard et du lieu qui le projette.

Face aux Post-Carbones de Rémi de Chiara, le spectateur plonge un pied dans un futur proche, un futur annoncé par le titre de l’œuvre, moment où les énergies fossiles sont épuisées. L’autre pied apprécie ces fresques ou morceaux de décors carbonés sur plaque de plâtre, d’un point de vue muséographique quasi naturaliste. Les Post-Carbones
installent dans un entre-temps le spectateur, lequel est placé devant des représentations de paysages minéraux, éclatés, dont la légèreté flirte avec des compositions florales volatiles.
L’anticipation se prolonge devant une impression numérique, issue d’une série de montages photographiques et textuels appelée Prodromus, signifiant signe avant coureur.

L’ambiguïté, qui fait glisser les représentations inorganiques vers un monde végétal se rappelle au spectateur dans L’ilot de Laura Ben Haïba, agglomérat de billes de polystyrène, caillasses, terre et herbes mortes… Rebut prélevé dans une zone urbaine, semi industrielle, ce dernier est montré sur un tas de gravier, qui fait ici office de socle. L’agglomérat est peint sur le dessus à la bombe avec plusieurs couches colorées dominées par des verts et mauves au premier abord chimiques et acidulés. Pourtant, s’il donne l’impression de provenir d’un astre inconnu, probable résidu de météorite, s’il évoque la maquette d’un film de série B catégorisé science fiction, il rappelle aussi un petit bout de terre silicieuse recouvert de bruyères.
De L’îlot est issu un dessin imposant : L’île. Le micro engendre la plus grande pièce de l’exposition. L’espace se désynchronise. Les changements d’échelle et de médium induisent un nouveau point de vue. Le spectateur effleure peut-être un panorama du XVIIIe, Laputa des Voyages de Gulliver ou une simple pose de matière sur une feuille
s’organisant autour d’un modèle, travail de copie et d’agrandissement.