LA FLEUR AUX DENTS

Texte rédigé par Jason Pautot, suite à la restitution de résidence à la Factatory, Lyon.
2017

Le travail d’installation du plasticien Nicolas Hensel crée une tension entre reprise et réinvention de techniques traditionnelles et expérimentations technologiques. Pris au croisement d’un mouvement historique désœuvrant, dans lequel gestes et savoirs ont quitté les corps, pour habiter les machines, la réflexion formelle menée par l’artiste s’attache à déjouer ce processus d’abêtissement, en déployant un imaginaire technique qui articule des processus apparemment antagoniques. La gravure laser ou le développement d’application web côtoient ainsi cuissons primitives de céramiques et démantèlement architectural.

Pour le temps de résidence à la Factatory de Lyon, Nicolas Hensel s’est plus particulièrement penché sur la notion de pharmakon, comme décrite ci-après et chère au philosophe Bernard Stiegler :
« En Grèce ancienne, le terme de pharmakon désigne à la fois le remède, le poison, et le bouc-émissaire.
Tout objet technique est pharmacologique : il est à la fois poison et remède. Le pharmakon est à la fois ce qui permet de prendre soin et ce dont il faut prendre soin, au sens où il faut y faire attention : c’est une puissance curative dans la mesure et la démesure où c’est une puissance destructrice. Cet à la fois est ce qui caractérise la pharmacologie qui tente d’appréhender par le même geste le danger et ce qui sauve.»

Prenant comme élément symbolique la digitale, fleur de moyenne montagne, réputée dangereuse pour sa substance hypertonique, le plasticien joue de la forme, du nom, des propriétés et récits attribuées à celle-ci pour composer une installation aux allures de jardin pétro-chimique à la fois accueillant et inquiétant. S’y retrouvent maquettes de théâtres anatomiques, vieux bidons industriels, cyanotypes floraux, céramiques oxydées, tour d’ordinateur, fontaine jaune aux remous vert-mentholés et digitales, plantes d’ornementations.
La question d’une réincorporation de gestes et savoirs perdus, remisée alors dans une eau bien différente de celle qui les a vu apparaître se double ici d’une réflexion sur la mesure et ses instruments au travers d’une expérimentation formelle mettant en avant poison et remède. La fleur aux dents, perplexe devant l’incommensurabilité choisie du présent.